C'est de l'effort que naît le succès

Je ne croyais pas au paranormal.

Et même quand j’ai fait appel à une voyante pour passer mon examen de mathématique, j’y croyais pas plus. C’était juste plus simple que de réviser mon cours et ça faisait rire les potes. Elle m’a promis que je ne sortirais pas de ma classe en coulant. J’ai hoché la tête sans trop la croire.

Si j’avais su, je ne serais jamais parti chez cette folle.

Au début du cours, tout allait bien pourtant. La cloche avait sonné, monsieur Dallaire nous a sorti son discours habituel sur l’effort et le succès, puis j’avais jeté un coup d’œil à la feuille.

La première question n’était pas trop difficile et mon antisèche dormait dans ma poche, de toute façon. Les tictacs de l’horloge. Les mâchements de gomme de Sarah. Les grincements de dents du pauvre George qui se faisait intimider… Bref, rien de nouveau sous les murs gris de Mont-Tebargne

Je m’apprêtais à sortir mon antisèche quand George se mit à fouiller son sac à dos.

J’étais si concentré à tricher que j’ai pas remarqué les cris de Sarah qui ont suivi. Même lorsque toute la classe s’est dirigée vers la sortie, j’ai pas bougé. Ce n’est qu’en sentant quelque chose de froid sur mon front que j’ai levé les yeux. George se tenait devant moi, un gros calibre en main.

— Lève-toi comme les autres !

J’ai lentement obéi. « Qu’est-ce qui te prend, George ? »

— Ta gueule !

Discrètement, Monsieur Dallaire a galopé vers la sortie, clef à la main. Une balle dans sa calvitie l’arrêta.

Le gringalet, intimidé par tous, le gars bizarre que je connaissais depuis cinq ans, a éclaté de rire.

— Maintenant, placez-vous en ligne !

On a obéi, comme si George enseignait l’éducation physique.

George n’avait jamais tenu plus de deux minutes dans un oral, mais flingue en main, il avait la prose de Mussolini.

— Plus personne ne rigole, maintenant ?!

La classe était silencieuse. Le sang de monsieur Dallaire bifurquait depuis sa calvitie pour se répandre entre les dalles du carrelage.

— Est-ce que vous savez pourquoi j’ai fait ça ?

Personne ne répondit.

— Pour vous punir, bande de normies ! Je suis le châtiment de la nature, le grand fourvoyeur de la matrice ! Cinq ans d’intimidation et vous pensez vous en sortir comme ça ?

Seule la respiration haletante de George résonna en saccades.

Jean-Sébastien remonta ses lunettes. Avec un regard froid, il marmonna : « C’est bien zolie. Mais nous z’avons un egzamen de mathématique à finir. »

D’un air stoïque, Jean Sébastien se dirigea vers sa copie quand un tir l’empêcha de répondre à plus de questions.
L’humanité perdait un grand esprit. George gagnait en confiance. Celui-ci fixa chaque élève, comme un curseur à la recherche de sa prochaine victime. Son flingue visa Bryan, le grand blond en chemisier. Hier encore, le chef de l’équipe de football se vantait d’avoir aidé George à battre son record de natation : une minute 32 sous la cuvette des toilettes publiques.

Bryan, imaginant la suite, tenta un truc :
— Écoute, mec… Je suis vraiment désolé. Je voulais juste que tu te dépasses en nata…

Il ne termina jamais sa phrase.

Le rire de George devint plus lourd et médiocre à la fois.
Son prochain tir visa Jennifer, la petite amie de Bryan. Puis deux balles dans chaque jambe d’Émile, le coureur. Un autre dans la tête d’Hajar. Une série de rafales sur quatre élèves. La classe se vidait comme le sang des crânes.

Le calibre se tourna vers moi. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais jusqu’alors cru qu’un miracle m’épargnerait. Apparemment pas.

Je vais pas faire le mec. La vérité, je me suis pissé dessus.

— George… Jojo… Mon pote… On a fait trois laboratoires ensemble ! Tu vas quand même pas me…

— J’ai fait ta partie du labo à la dernière minute, enfoiré !

Je m’apprêtais à inventer que je faisais le deuil de mon chien à l’époque, quand un grand bruit vida ma tête, dans tous les sens du terme.

BAM !

La cloche sonna.

— Bonne chance à tous. Saliva Monsieur Dallaire. Et n’oubliez pas, mes chers élèves, c’est de l’effort que naît le succès.

Les tictacs de l’horloge les claquements de dents de George les mâchouillent de gomme compulsive de Jennifer. Et ma copie devant moi. Vide.

J’ai regardé autour. Pas un cadavre à l’horizon. L’horloge indiquait 9 heures. Le début de classe.

J’ai plissé des yeux, puis j’ai ri. Monsieur Dallaire m’a regardé bizarre et je m’en foutais. La scène de massacre ne devait être qu’un rêve, ou au pire, une vision. J’étais peut-être fou, mais un fou vivant.

J’ai alors fixé ma copie et un petit sourire traversa mon visage de gros malin. Pas besoin de dégainer l’antisèche, je me souvenais des réponses.

Alors que je passais à la question quatre, Jennifer a crié. Et je me suis relevé tout de suite. George avait sorti son flingue.

En frappant mon pupitre, j’ai grogné : « C’est pas vrai ! »

La bouche du calibre de George me dévisagea comme son propriétaire. Par-dessus les cris de la classe, le satané bruit résonna.

BAM !

La cloche sonna.

— Bonne chance à tous, saliva Monsieur Dallaire. Et n’oubliez pas, mes chers élèves, c’est de l’effort que naît le succès.

Les tictacs de l’horloge, les claquements de dents de George les mâchouillent de gomme compulsive de Jennifer. Et ma copie devant moi. Vide.

J’ai pas attendu. Mes deux jambes ont couru vers la sortie.

Lorsque j’ai voulu tourner la poignée de porte, rien ne bougea.

— Monsieur ! que j’ai crié en regardant Dallaire. Ouvrez cette putain de porte !

Monsieur Dallaire resta immobile. Une veine se dessina le long de son front, comme un serpent vert se faufilant derrière des touffes brunes et courtes.

— On ne jure pas dans ma classe. Et on utilise le mot magique…

— Ouvrez cette porte, s’il vous plait !

— Personne ne peut sortir durant les examens. Il va falloir retenir tes vessies, jeune homme.

Quelques rires résonnèrent. George grinçait des dents plus fort. Fallait que je trouve un moyen de fuir cet enfer avant qu’il dégaine.

— Je… J’ai oublié ma calculatrice.

— Il fallait y penser avant. Que cela te serve de leçon.

Cette enflure aurait réponse à tout. Pas le choix. Je devais être direct.

— Ce qui se passe, c’est que notre cher George s’apprête à commettre un massacre digne du pays de l’oncle Sam. Si vous avez envie de finir dans les journaux comme martyr, c’est votre problème. Moi, je veux vivre !

Pendant un bon dix secondes, seuls les grincements de dents de George, toujours plus rapide, résonnèrent.

Bryan brisa le silence. «  George, faire une tuerie ? Il sait même pas tenir sa queue. Comment veux-tu qu’il manie un flingue, ha ha ha ! »

Toute la classe éclata de rire (à l’exception de moi, de George et de Jean-Sébastien trop concentré sur l’examen). Même le prof eut un sourire en coin.

Les grincements de dents de George devinrent assourdissants. D’un geste militaire, il sortit son flingue, pointa la tête de Bryan et profita de sa gueule ouverte par les rires pour en percer l’arrière.

Cris de la classe. Le flingue qui se tourne vers moi et ce satané bruit.

BAM !

La cloche sonna.

— Bonne chance à tous. Et n’oubliez pas, mes chers élèves, c’est de l’effort que naît le succès.

Les tictacs de l’horloge les claquements de dents de George les mâchouillent de gomme compulsive de Jennifer. Et ma copie devant moi. Vide.

Ma tête s’est écroulée contre le papier. Comment stopper cette merde ? Recevoir une balle dans la tête faite vachement mal une fois. Trois fois c’est trop. Je suis resté assis, à réfléchir au problème, quand George dégaina son machin et que la classe courut dans tous les sens. Il me le colla au front, manière de me dire de bouger. Mais j’ai rien bougé.

À peine que j’aie levé la tête en lui marmonnant :

— Est-ce que tu crois au paranormal ?

BAM !

BAM !

BAM !

BAM !

BAM !

La cloche sonna.

— Bonne chance à tous. Et n’oubl…

— TA GUEULE ! que j’ai crié.

Le prof me dévisagea. Combien de temps avait passé depuis que j’étais entré dans cette classe ? J’avais l’impression que des siècles s’étaient déroulés. En général, ça durait pas plus de cinq minutes, mais de milliers de cinq minutes ça fait… beaucoup.

J’avais tout tenté pour briser la boucle, casser la porte, attaquer George, le faire rire, mais rien ne semblait fonctionner. Dans chaque cas, je finissais avec une balle dans la tête sans sortir de la classe.

J’ai réfléchi plus fort. Si j’étais là, après tout, c’était à cause de cette foutue voyante. Qu’est-ce qu’elle m’avait proposé, au juste ?  «  Tu ne sortiras pas de cette classe en coulant ton examen. »

Mais comment le passer si je revenais toujours en arrière ?

George s’est levé. Je l’ai regardé et j’ai presque souri.

— Mec, je sais que tu vas pas me croire, mais on a déjà vécu ce moment un millier de fois. Tu me fais plus du tout peur…

BAM !

La cloche sonna.

— Bonne chance à tous. Et n’oubliez pas, mes chers élèves, c’est de l’effort que naît le succès.

Et si j’écoutais son conseil, tiens ?

D’un coup, je me suis approché de George qui grinçait des dents.

Le pauvre petit gars avait bien fait souffert. Avant cette période maudite, je l’avais jamais regardé dans les yeux. C’est vrai qu’ils étaient triste, ce regard. On lui avait donné bien de noms. Le cure-dent, le nageur ou encore le vilain petit canard (à cause de sa passion pour l’ornithologie).

— Rassis-toi ! me gueula Dallaire. Pas le droit de se passer du matériel pendant l’examen. Sinon, c’est zéro.

J’ai ignoré ce calvitiste.

— Mec… ai-je dit à mon tueur. Je sais que t’as un flingue dans ton sac.

Il a grincé des dents plus fort, puis il a dégainé son fusil sur moi.

J’ai pas bronché.

— Je suis pas là pour t’accuser de quoi que ce soit. On a passé cinq ans à se foutre de ta gueule. Si on rajoute à ça les trucs bizarres que t’as dû entendre sur internet et tes petits problèmes familiaux, c’est normal de vouloir te venger sur le monde. Mais réfléchis bien. À quoi ça va te mener tout ça ? Dans le meilleur des cas, tu vas croupir en prison. Dans le pire, tu vas te suicider ou la police te neutralisera à la mitraillette.

Il se tourna vers la classe ou des gouttes de sueur coulaient de partout.

— Et puis, pourquoi nous ? Tout le monde dans cette classe t’aime, ce n’est pas vrai ?

Ils hochèrent la tête en cœur, ce qui propulsa une pluie de sueur sur nous.

Il a continué à me regarder, mais j’avais bien mémorisé la forme de ces yeux durant ces siècles et je les savais troublés. «  C’est vrai ? »

— Bien sûr ! On t’aime tous, George, allez, dites-le !

En cœur, la classe s’exclama :

On t’aime, George ! On t’aime George ! On t’aime, George !

Alors que George regardait tous ses compagnons crier son nom, presque des larmes aux yeux, j’en ai profité, pour lui donner un poing à la figure, puis dérober son arme. 

J’arrivais pas à y croire. Il se peut que ma joie m’ait fait dépasser les bornes. Et que je lui ai lancé un coup de pied dans les côtes. Puis peut-être que j’ai craché sur son visage boutonneux en gueulant : « C’est qui le malin, maintenant ? »

Le prof a bondi vers la sortie, trousseau de clef en main.

— Et l’examen ? j’ai demandé.

— Tu rigoles ? beugla-t-il le visage rouge. On vient d’échapper à la mort, je vous donne tous cent pour cent !

La classe a éclaté de joie (sauf Jean-Sébastien qui aurait eu cent dans tous les cas et George qui se tordait à terre).

Depuis, j’ai plus fait appel à des sorcières.

J’ai fini dans le journal de la ville comme héros local. George a fini dans un centre de détention pour jeune.
Il a compris son erreur à dix-huit ans et est devenu moine, avant de continuer vers l’université et devenir ornithologiste.

Quant à Bryan, son intimidateur, il a rejoint une grosse équipe de football après le secondaire, mais il a fini en prison pour ses relations avec des mineures.

Jean-Sébastien, vous le connaissez sûrement, a été le premier homme envoyé sur Mars. Sa mort en martyr de la race humaine le rendra immortel.

Monsieur Dallaire, comme beaucoup de professeurs de sciences, faisait partie du Projet BRBD, un groupe de prof fan de Breaking Bad qui imitait leur idole. J’avoue que j’étais pas mal content quand j’ai appris qu’il avait fini en prison.

Moi, j’ai bifurqué par ci et par là, et aujourd’hui, à l’aube de la mort, je vous raconte cette histoire en sachant pertinemment que personne ne me croira. De toute façon, qui lit encore de nos jours, lorsqu’on a accès à la VR 4.0 ? Peut-être, qui sait, deux ou trois gens un peu rêveurs diront qu’il y a une part de vérité dans ce que je dis. C’est avec cet espoir que je vous quitte, car je sens mes forces diminuer alors que j’écris ces mots et…

Paf

La cloche sonna.

— Bonne chance à tous, saliva Monsieur Dallaire. Et n’oubliez pas, mes chers élèves, c’est de l’effort que naît le succès.

Les tictacs de l’horloge les claquements de dent de George les mâchouillent de gomme compulsive de Jennifer. Et ma copie devant moi. Vide.

J’ai soupiré.

C’est reparti…

FIN

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