Pink Lady
Réticule #19 : Humour -
Je la regarde, médusé.
Elle va chercher dans les 50-55 ans, enrubannée, saucissonnée même, dans sa robe fuchsia. Petite barrique tape-à-l’œil, aux cheveux blond-frelaté et au teint pâle.
Elle est coiffée d’un chapeau à voilette et chaussée d’escarpins assortis à sa robe.
Entre son mauvais goût patent et sa tenue de reine d’Angleterre, je parie mon billet qu’elle est anglophone. Je vais devoir ressortir Brian de la kitchen avec son cortège de phrases bidon quand elle va se pointer au guichet…
Je ne garantis pas l’origine par contre. Vu la dégaine et les mensurations, l’outre-Atlantique n’est pas exclus. Plus je la regarde d’ailleurs, plus je penche pour cette hypothèse. Je ne sais pas… mais je me dis qu’une Anglaise aurait préféré le rose layette…
Ceci dit, question carnation, elle est plutôt rosbif. Sûr que ce n’est pas de la Californienne. Une gazière de cet acabit, habillée de la sorte, ça ne tutoie pas le soleil. Ce serait un coup à ne plus savoir où se situe la limite entre la chair et le tissu au bout d’une trentaine de minutes. Du rose, du rose ton sur ton… sur thon ?.. Ha ! Ha ! Ha ! Putain, je suis vraiment un salaud.
J’imagine la scène et ça me fait frémir : elle s’est assoupie sur une chaise longue, pas très longtemps, mais ça a suffi. Brûlure au deuxième degré. Son mari la ramène dans la chambre dont il a fermé les volets pour lui ménager un peu d’ombre. Il l’aide à se déshabiller. Le corps transpirant colle au vêtement comme un bonbon à son papier. La robe, dégrafée, est retirée avec précaution mais, malgré ça, la peau s’en va, suit le mouvement… Une Pink Lady dépecée. Brrr…
J’en suis là de mes réflexions quand je la retrouve en gros plan, juste sous mon nez. Je range mon rictus de dégoût et lui sers mon plus beau sourire :
— Bonjour, Madame !
— Good morning, young man! How much is it for 25?
Je le savais qu’elle parlerait anglais ! À l’accent et vu la demande, c’est une Américaine friquée. Elle ne fait pas semblant ! Putain, vingt-cinq ans ! Ça en fait du temps à remonter. Ça coûte une blinde.
— It’s 15 000 dollars an hour, chère Madame.
— Ok, sweetheart. I’ll take two hours for now.
30 000 dollars pour deux heures à revivre ses 25 ans, à les retrouver dans sa chair, à se revoir telle qu’elle était… un rêve d’enfant gâtée qui serait devenue blet… une utopie de dégénérée.
Je me demande comment font ces gens pour retourner à leur vraie vie après une telle cure de jouvence ? Enfin… ceux qui ont du pognon, je le sais : ils reviennent. Rapidement. Comme des junkies qui ont besoin de leur dose. Accros à leur propre jeunesse.
— Here you are, Madame. Enjoy !
Pour l’instant, moi, je suis jeune et j’en profite. Et puis, jamais je n’aurai les moyens de retrouver ma verdeur. Je ne suis pas le taulier, ici, je suis juste un employé. Alors, je me dis que la vieillesse, le mieux pour moi, ce sera d’apprendre à l’aimer. Mais je sais bien que c’est facile de dire ça quand on est jeune.
Je regarde Pink Lady s’éloigner dans le grand couloir qui mène à la salle des années perdues.
Le processus de rafraîchissement commence immédiatement, dès les premiers pas dans le couloir. C’est toujours un moment magique, ce moment de transformation.
Je la regarde marcher, curieux et excité. Elle sent que je la regarde, elle le sait. Elle sait aussi, assurément, quel regard on portait sur elle dans ses belles années. Elle prend son temps, tangue des hanches. Je vois sa silhouette s’affiner, sa taille se marque, son cul se bombe… Putain, ma salope, quel cul tu avais ! Un cul à se damner !
Pink Lady m’attire comme jamais on ne m’a attiré… C’est plus puissant que la gravité.
Je bande comme un âne à la mater, j’ai envie de la suçoter. Et, d’un coup, je pète un plomb. Je quitte mon poste de travail et je la rattrape dans le couloir.
Je sais que je vais me faire virer, mais c’est plus fort que moi. Cette nana est une friandise à laquelle on ne peut pas résister. Je veux juste passer un quart d’heure avec elle, la goûter, la lécher, la mordiller…
Sauf que, arrivés tous deux dans la salle des années perdues où je rêvais de la culbuter, je me rends compte que rien ne se passera comme je l’avais imaginé.
Je regarde cette splendide Américaine qui va exploser son forfait en restant bien plus de deux heures sans que je puisse l’en empêcher et sans que j’en tire parti.
Elle m’adresse un clin d’œil, la garce, et me susurre :
— You’re so cute!
Tellement mignon ! Tu m’étonnes ! Assis par terre, flottant dans mes fringues, je ne peux même pas lui répondre. Je me suis calé sur sa temporalité… elle a 25 ans, moi, 6 mois.
FIN
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