Pleins gaz

Ce jeudi 12, place du Mistral, mon terrifiant reflet dans la vitrine du magasin de chaussures déclencha les hostilités.

L’outrage au sculptage capillaire devait cesser. Imaginer un passant voler mon portrait à cet instant me glaçait. J’envoyais donc sur les réseaux sociaux la photo de l’échevelé pestant à quatre mètres de moi. Et dire qu’il me pensait assez stupide pour prendre un selfie !

En quelques heures, l’appel à manifester contre le vent enrôla des milliers de blonds, noirs, roux, bruns et même des chauves solidaires. Rendez-vous fut arrêté pour défiler le lendemain dans toutes les villes du littoral.

Outrés par cette révolte décidée à renverser leur règne millénaire, les vents organisèrent un rassemblement à l’intérieur des terres. Les Caps Pertusato, Béar, de Hève et de la Hague pleuraient, girouettes à l’arrêt. Orange, Toulon, Porquerolles, Perpignan, Ouessant et Belle-île-en-mer stagnaient au degré zéro de l’échelle de Beaufort.

Les têtes frondeuses avaient sous-estimé l’adversaire. Incessant voyageur et bien qu’attaché à certains favoris, le vent n’avait promis fidélité à aucune cité, aucun bled. Déserter l’ensemble du rivage ne le chagrinait guère. Les Tifs en colère invitèrent le soleil et en bord de mer paradèrent, fiers de leur coiffure maîtrisée.

Une victoire modeste aurait clôturé l’affaire. A contrario, cette débauche de supériorité appela l’affrontement. Les vents rejoignirent les côtes, acceptant à contrecœur cette mise en scène d’un rapport de force vieux comme la fabrication de miroirs et dont tous connaissaient l’issue. Gonflant.

Première bourrasque.

Ma crinière auburn envahit les deux tiers de mon visage. Ma co-marcheuse de droite, coupe ultra courte, se précipita chouchou en avant. Elle batailla pour rassembler mes mèches avant de les emprisonner dans l’élastique. Certaines, éprises de liberté et vendues aux mouvements d’air, se dégagèrent avec dextérité.

L’accroche-cœur d’une manifestante rageuse débarrassa sa tempe. De ses doigts boudinés, elle repositionna la boucle, plia majeur et index pour appuyer le talon de sa main avant d’aplatir la paume. Elle avait pourtant payé un bras son gel coiffant fixation extrême.

La houppe déstructurée de Jules, co-fondateur des Tifs en colère, souffrit comme jamais. Toutes désorganisations capillaires ne se valent pas. Il ne cessait de le clamer. La sienne nécessitait de squatter la salle de bain trente minutes chaque matin.

Deuxième bourrasque.

Elle dénatta en série. Rires et larmes furent refrénés.

Quinze bourrasques plus tard, notre groupement échoua dans un entrepôt désaffecté parfait pour la tenue d’une assemblée générale. À main levée nous votâmes pour la poursuite du mouvement. Notre marotte : brider le vent quoi qu’il en coûtât. Gagner signifiait économiser nombre de tubes de gel, de bouteilles d’eau coiffante, de pots de cire, d’aérosols de laque a minima durant la prochaine décennie. Une noix ou une seule pression suffirait à styliser pour la journée. La thésaurisation servirait aux colorations.

Pourquoi le vent ne balaya-t-il pas tous ses mous du bulbe dont je fus ? Personne ne le sut. Il feignit de résister deux semaines durant puis se coucha pour ne plus se lever.

L’été suivant, de fortes chaleurs s’abattirent sur le pays.

La transpiration collait anarchiquement les cheveux à la peau. Les douches à répétition occasionnaient l’explosion du budget produits coiffants. La loi de l’offre et de la demande aidant, des augmentations indécentes furent pratiquées.

Les Tifs en colère regrettaient l’immobilisme des bises, brise, noroît et autre tramontane. En situation de crise, point de rancœur admise ! Les vents devaient rappliquer ! Ils s’en fichaient. Nous nous fîmes des cheveux blancs, nous les arrachâmes, les coupâmes en quatre sans pour autant retrouver le droit de respirer convenablement. Les climatisations tombèrent en panne les unes après les autres, les ventilateurs brassaient le même air chaud et vicié.

Pourquoi donc le gouvernement n’envoyait-il pas l’armée pour rapatrier les vents par contrainte ? Le porte-parole répondit que les forces attendues étaient, au choix, apatrides ou multinationales. D’où l’urgence de faire voter une loi internationale, pardi.

Manifester de jour aurait rudoyé les organismes à outrance. Nous décidâmes donc d’œuvrer de nuit. Tags et affiches appelant à légiférer sur le droit à l’aération, l’assainissement et le rafraîchissement de tout espace de vie couvrirent jusqu’au moindre centimètre carré de tous les bâtiments publics. L’état déploya ses policiers et des agents en blouse blanche armés de sarbacanes et de seringues hypodermiques. Nous ronflions bruyamment, par centaines, affalés sur les trottoirs, le bitume ou les plages. Comme autant d’instruments à vent, nous invoquions son retour.

Au seizième matin de ce déroulé, les doigts maculés de colle et les paupières ankylosées, je décollais et atterris contre le tronc d’un robuste platane. De peur, tous les poils de mon être, cheveux compris, se dressèrent. Vite un selfie pour pouvoir prouver plus tard le préjudice. Du regard, je balayais les alentours à la recherche du costaud. Il se planquait. Le malotru siffla une fraction de seconde avant de me soulever à nouveau et de m’imposer d’enfourcher une branche de l’arbre. Je m’y agrippais comme à un radeau et soufflais en discontinu sur mes cheveux qui m’aveuglaient. Deux sifflements brefs et rapprochés me firent craindre le pire. Tremblant je lâchais prise et basculais. La face ensanglantée et les tifs méchés à l’hémoglobine, je pensais la sanction suffisante. Que nenni ! Je finis scotcher contre la façade de la mairie. Les pieds touchant le sol, je décidais de garder la position afin de ne pas risquer pire.

La première adjointe embaucha à 8 heures. Elle m’informa du retour officiel des vents.

Dès le lendemain, le visage barré de sparadraps, je sommais la communauté de marcher pour réclamer l’encadrement de la violence des dits vents.

Jules, co-fondateur des Tifs en colère, me supplia de le rejoindre à son domicile. Claudiquant, j’en foulais le seuil dans l’heure. En guise de bonjour, point de check, mais un ébouriffage de haute volée et une mise en garde :

— Si tu bouges pour esquiver la tondeuse, j’te bute.

Grands stratèges, les vents avaient gagné, y compris la gratitude des révoltés d’hier. Pourtant, ils échouèrent à m’endormir. Prêt à reconnaître mes erreurs et mes excès, je carburais désormais à la lucidité.

Quasi plus de moulins, peu de voilures, moins de haies, plus de cheveux longs : frustration maximale. Les éoliennes ne pouvaient assurer à elles seules l’ensemble des distractions des foehns, sirocco, cers et compagnie. Elles ne le peuvent toujours pas…

Un vent de révolte gagne les vents…

Refroidir leurs ardeurs en promettant le couvre-chef obligatoire…

J’ai eu chaud. Je m’évente, me vante… et cours vendre mon âme à conso.

La tornade n’a daigné recracher que la jante arrière gauche de mon auto.

FIN

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