À ma belle étoile !

Ce texte a été écrit pour présenter un projet d’installation artistique intitulé À ma belle étoile ! qui sera exposé à partir du 10 avril 2020 à la grange cistercienne de Fontcalvy. Il est agrémenté de deux croquis préliminaires de l’œuvre en question.

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Cela a commencé avec des dessins de bateaux et d’étoiles, De poissons en partance vers des océans inconnus. De coquilles de noix en guise de barques, fragiles comme des existences. Bien peints. Il n’était pas question de risquer le coup de pinceau de travers qui aurait fait sombrer l’équipage…

J’ai porté ces images dans des ports et les ai laissées suspendus dans de très beaux endroits mais les tableaux finissent toujours par tomber amoureux de leurs crochets et par rester prisonniers des murs. Je ne me rappelle plus ce que j’ai pu raconter à leurs geôliers tant j’ai eu peur d’eux. Une peur outremer dont je n’ai pas vu le fond. Une peur océane qui aplanit l’âme. De tout son long. J’ai glissé au sol et l’air du soir m’a abattue.

J’ai longtemps été éblouie par ce que je prenais pour des absences. Comme des caries dans l’émail du monde. Comme des trous de souris où j’allais me cacher. Atterrée, je n’ai plus de fuite à envisager. Plus de terrier où engager ma trouille. Juste le ciel au-dessus de moi.

Couchée sur le dos, j’ai regardé ma nuit en face. Jusqu’à ce que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Jusqu’à ce que mon cerveau se fasse à cet indicible vide que perce seulement la lumière des astres. L’éclat de quatre rayons qui positionnent un point blanc sur la voûte sombre, que l’on croit fixe et que j’ai regardé tourner. Jusqu’au vertige.

« Fous le camp ! » Cette injonction à décamper : je l’ai prise à la lettre et aux pieds. Incapable d’étayer mon existence entre quatre murs, j’ai cessé de regarder mes limites à la fenêtre. J’ai voulu être à la fois la fenêtre et l’orée de la forêt.

« Dégage ! ». (Des gages). Autrefois, c’est ainsi que l’on nommait la rémunération des gens de maison. J’ai souri : ma récompense était cette image. En voilà un beau patrimoine ! J’ai voulu prendre le large parce que l’étroit ne les contenait pas. Parce qu’aucun toit ne pourrait abriter mes myriades de pensées.

Je suis parti au soir, voir s’il m’était possible de deviner, à la belle étoile, qui j’étais. C’est alors que j’ai enfin fini de rêver. J’ai levé le camp et j’ai d’abord marché sans trop savoir où aller. Et la nuit venue, le ciel fait m’a fait oublier le poids de mes anciens toits.

Au détour d’un chemin ; on m’a dit ; « Plus personne ne lit des livres. Tu n’écris que pour tes copains. Tes jolies phrases n’y peuvent rien. » Alors, j’ai jeté mes livres aux orties. Pas trop loin du chemin. Parce que peut-être d’autres… Ainsi a fini ma guerre. Sur le sentier du Petit Poucet. Je me suis levée enfin pour dépasser ma peine originelle ou celle que j’avais prise pour telle.

À ma belle étoile 1

Pour tout bagage, un sac charbonneux contenant une drôle de tente à la forme découpée dont j’avais presque oublié la présence à mes côtés. C’était au temps où je voulais peindre plus près du ciel sur une toile-étoile bien trop grande pour mon jardin. J’ai été la chercher dans la cabane et j’ai souri car je comprenais tout à coup que les étoiles n’aiment dormir que dans des baraques de fortune. J’ai aussi rempli une trousse jusqu’aux dents, sans vouloir m’encombrer plus… Juste de quoi écrire et abriter mon repos le temps d’une nuit ou d’un frimas. J’ai laissé tomber ma vie d’éternelle locataire de meublés impersonnels, d’une vie qui appartenait à d’autres… J’ai fait le pari des nomades qui dansent sous le ciel sans prétendre s’octroyer les nuages, sans penser détenir la poussière sur leurs souliers. J’ai attrapé l’anse du sac et j’ai soulevé neuf kilos d’un monde à venir. Je suis partie avec mon étoile sur le dos avec la lenteur des vieux cirques ; Les chemins creux et les allées couvertes m’ont abrité du soleil trop chaud. Et le bruissement des feuilles m’a chuchoté des encouragements complices… Le temps s’est évaporé comme un verre d’alcool… Avec une certaine application. J’ai marché durant tout le premier jour qui m’est apparu comme un cadeau. À la croisée des chemins, il y avait une marque. La courbe à peine gravée par la pluie et le vent sur une pierre ronde. Un sourire de la terre m’a invité pour la nuit.

« À ma belle étoile. » J’ai su le titre de ce projet dès que je t’ai touchée. A peine déballée, je te voyais déployée et je savais que j’écrirai sur ta peau pour caresser le ciel. J’allais écrire en spirale et laisser filer les mots toujours plus loin. J’ai déplié les branches avec soin pour les présenter à la Terre. Puis, j’ai hissé le mât au milieu des fougères Et puis le blanc de la toile s’est soulevé comme une poitrine qui inspire. Profondément. Je suis sortie sans me presser comme éclosent les fleurs bleues au printemps. Je me suis retournée vers toi. Je t’ai contemplé en oubliant peu à peu la mue de qui j’étais, l’instant d’avant. Sans chercher à retenir ce qui n’avait plus d’importance.

J’ai pensé alors à l’étoile du shérif. Enfin à celle d’un officier plutôt fainéant, les deux bottes croisées sur le coin d’un bureau vieillot. Avec le sourire aux lèvres, comme s’il n’y avait plus de question à régler. Plus personne à surveiller ou à suspecter. Comme si les idées même d’ordre et de culpabilité n’avaient jamais tenu la moindre place dans son existence. Et j’imagine la fumée de son cigarillo, enrouler la nuit de volutes bleues

Dans le sac noir à présent tout plissé, il restait la trousse remplie jusqu’aux dents. Quand je fis glisser sa fermeture éclair, elle éclata de rire. Les pinceaux, les crayons et tout ce qui pouvait tracer sauta allègrement dans l’herbe molle pour s’y réveiller. Je ramassai un marqueur fanfaron qui s’était éloigné du troupeau et le calai entre mes incisives. Je grimpai sur l’orme et, chevauchant la charpentière qui couvrait le centre de l’étoile, je laissai tomber le capuchon. Enfin, je commençai à écrire la spirale d’un texte sans trop lorgner vers l’extérieur. S’y prendre à plusieurs reprises. Comme des vagues successives.

À ma belle étoile 2

La Lune fera semblant de lire chaque nuit et s’en ira, au matin, poursuivre sa course folle en se moquant de tous les écrits de la Terre. Et j’en rirai avec elle. Le texte grossira pour remplir le vide de ses déliés. Inlassable. Une conscience brute que le temps creuse méthodiquement, pour en dégager les plans. Pour chaque jour aller vers une infinie précision. Comme si les mots nous portaient au-delà de nous même. Une ligne courbe qui m’éloignera chaque jour un peu plus, de toutes mes tristesses. Une hélice qui se déploiera sans bruit de moteur

C’est fait : les premières circonvolutions sont tracées et me donnent de l’élan. Les signes anéantissent la fatigue, apaisent les colères et assèchent les pleurs. Et s’il n’a pas de retour possible, ni d’Eurydice à aller chercher. Il y a mieux : la pensée de la ligne qui allonge sa cambrure au creux de la galaxie… Elle me ravit, cette idée de laisser une trace ténue sur une tente fragile qui abrite le souffle d’une envie et de son expiration. Écrire sur une étoile un texte qu’aucun livre n’enfermera. Un texte à effacer et à reprendre au hasard de l’errance. Un texte que la pluie détrempera. Un texte à susurrer sans larme aucune, jusqu’à ce que le vent couvre la voix du liseur de bonne aventure venu le parcourir. C’est sûr, puisque je l’ai écrit.

FIN

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Nathalie Grangis a vagi pour la première fois au matin du dernier jour le plus long de 1969. C’était dans une petite ville où les mâles sont Castrais de père en fils, à deux pas du Sidobre où les rochers ne répondent ni aux rossignols, ni aux légions de sirènes. Ce cri primal fut ainsi le dernier et les conditions précédemment citées expliquent sans doute qu’une fois poussée dans le monde, Nathalie Grangis choisit d’ouvrir les yeux et de fermer sa gueule. Elevée dans un pré carré, elle se mit à tourner en rond avant de suivre une drôle de bête qui, bien que l’ayant mordu jusqu’au sang, lui montra une brèche dans la clôture. Depuis, Nathalie Grangis s’échappe souvent de sa tanière à Marseillette pour filer à travers bois avec son lézard plastique. De ces moments dérobés aux horloges, elle sème à tout va des peintures d’animaux familiers mais pas fantastiques, des photographies de tas de n’importe quoi, de coupes à blanc dans les forêts noires. Elle écrit aussi des textes qui évoquent l’agacement du troupeau et la beauté des rêves oubliés.

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