Perversion

Nous filions le parfait amour, du moins c’est ce que je croyais. C’est ce que je voulais croire. Mon petit-ami me portait aux nues : j’étais la plus belle, la plus intelligente, la plus gentille, la plus, la plus… Bref, je ne pouvais pas ne pas être parfaite. Enfin, tu n’as pas réussi ça ? Pourtant, tu es tellement douée ! Mais, tu t’es trompée dans ton calcul ? Pourtant tu étais dans les meilleurs de ta promo dans ton école. Et pourquoi tu n’es pas la meilleure ?

Un jour, après une énième crise, il m’a quittée. Il m’avait fait un énième reproche, je m’étais énervée et il m’avait quittée. Cette fois, j’ai résisté, je ne lui ai pas couru après. Je ne l’ai pas supplié, jetant ma dignité aux orties. Non, j’ai résisté. Nous ne nous sommes pas remis ensemble.

Mais ses reproches lancinants avaient durement entaillé ma confiance et mon estime. Est-ce que j’étais si bien que cela ? Est-ce que je n’étais pas bien uniquement grâce à lui, grâce au soutien de cet homme ? Est-ce que, sans lui, je pouvais exister ?

J’étais la meilleure, selon lui. Avec des « mais », bien sûr. La meilleure, mais si je m’y connaissais mieux en géopolitique, je n’aurais pas fait cette erreur grossière. La meilleure mais si je me tenais au courant des dernières tendances, j’aurais pu connaître tel artiste. Mais la meilleure quand même. Pourtant, en y repensant, j’étais moyenne en termes d’« intelligence » et de « culture ». Ces mots sont entre guillemets car, qu’est-ce que l’intelligence et la culture ? Il y a plusieurs intelligences et la culture est tellement vaste… J’ai une réflexion, j’ai des connaissances.

J’étais aussi la plus belle. La plus belle, mais si je me mettais au sport… Et puis, perdre un peu de poids… La plus belle, mais si j’apprenais à me maquiller… J’ai eu longtemps honte de mon corps, je me demandais ce qu’il me trouvait finalement : j’avais de la chance qu’il reste. Finalement, en y repensant, je suis dans la moyenne : une taille moyenne, un IMC compris dans une « corpulence normale » selon la jauge.

J’avais une brillante carrière devant moi. La plus intelligente, la plus perspicace, la plus volontaire… Rien ne pouvait me résister. Mais mon accent français en anglais, non, vraiment, c’était horrible. Je ne parle pas anglais, je baragouine. Comment pourrais-tu trouver un travail décent comme ça ? Oh, tu as trouvé un travail ? Chargée de gestion ? Tu n’es pas responsable ou directrice… J’avais un travail et un salaire dans la moyenne. Suffisamment payée pour vivre à deux sur mon salaire, pas assez pour commander des magnums de champagne dans des boîtes de nuit huppées à Paris. Nous menions un train de vie normal. Métro-boulot-dodo — avec quelques excentricités, je l’admets : le spa de la Maison Souquet m’avait tentée pour une Saint-Valentin.

En somme… Je suis normale. J’ai une vie normale. Le seul point noir était cet homme : une relation anormale asymétrique, atypique. Toxique. Le seul changement que je peux apporter à ma vie est le célibat : me retrouver.

FIN

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Amatrice d’art, de littérature et, surtout, d’absurdités.

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