La révolution des morts-vivants

… Le silence s’accapara de nous. Il tambourinait et tambourinait à cor et à cri jusqu’aux catacombes de nos pensées. Hommes et anges, anges et dieux, dieux et astres n’attendaient que lui, lui, lui et son discours.

Le président s’approcha du microphone et déclara à brûle-pourpoint : « mes chers compatriotes, bonsoir ». Cette phrase liminaire, tout le monde l’avait déjà entendue. Cette petite phrase résumait presque tout le contenu de son long et très long discours. Mon arrière-grand-père préférait se soûler toute la soirée quand il savait que le président de la république allait encore pondre le même « blablabla ». Faut dire que rester soixante ans au pouvoir ne faisait pas de lui l’homme le plus apprécié au monde.

Nous avions un peu marre de le voir et il le savait. Mais au lieu d’abandonner le pouvoir pour notre plus grand plaisir, il préférait imposer sa présence au vu et au su de tous. Soixante ans au pouvoir et bon à rien… Comment un homme peut régner aussi longtemps ? Dieu avait-il peur de lui ? Était-il vraiment un demi-dieu comme il le chantait tout le temps ? Nous avions tellement de questions, de théories et d’hypothèses pour expliquer ce phénomène.

Soixante ans au pouvoir et toujours accro. Tellement accro qu’il a (peut-être) soudoyé la mort. Tellement accro qu’il a éliminé des opposants et leurs familles. Tellement accro qu’il a tué ses propres enfants, ses frères et sœurs, neveux et nièces, et toutes leurs descendances, afin de ne pas penser à la succession. Il avait orchestré des crimes extrêmement violents, scandaleusement abominables et ignobles. Tellement accro… tellement accro au pouvoir qu’il en est devenu ridicule.

Ah ! Ce président, ce président éternel !

Il poursuivit son discours avec la solennité qu’on lui reconnaissait. Il fit le bilan de l’année, le bilan des quatre cent vingt-huit ministères, le bilan de la décennie et de ses soixante ans de règne. Il pérora sur la construction du deuxième aéroport national, de la première autoroute et du douzième stade de football. Il nous interpella à saluer sa « lutte », sa « grande lutte » contre la corruption. Il expectora toute son éloquence en nous parlant encore de football, d’artisanat et d’hôtellerie comme étant les uniques secteurs qui contribueraient à réduire l’angoissant taux de chômage des jeunes. Il nous fit part de son désir de construire un peu plus de dispensaires dans l’étendue du territoire, et de son rêve, oui, son rêve de bâtir la première université du pays.

Ah ! Ce président, ce président éternel !

Toujours le même refrain, toujours le même verbiage, prolixe et soporifique, toujours la même douche de faconde lassante. Peu de temps après avoir entendu son bilan et ses rêves, ses rêves de toujours, je décidai de reposer ma carcasse en ordonnant à mes petits-fils de me réveiller au moment où le climax débuterait.

Le climax ? Qu’est-ce que c’est ?

Mais, comment pouvez-vous me poser ce genre de questions ? Ah ! Excusez-moi mes enfants. J’avais oublié que vous êtes des étrangers. Bon, laissez-moi vous expliquer. Le climax, c’est le point culminant du discours du président. Son discours dure en moyenne quatre à six heures, mais, c’est seulement durant une vingtaine de minutes qu’il oublie son refrain habituel. Dans ce laps de temps, il en profite pour révéler ses futures décisions qui changeront l’atmosphère du pays. Parfois, ce sont des référendums à venir, des remaniements ministériels, une nouvelle modification de la constitution, de nouvelles lois… bref, c’est le moment le plus important de son discours. Toutefois, cette année, il sera le plus attendu et le plus suivi parce que selon des dires, le président pourrait y annoncer son absence, sa non-participation aux prochaines élections présidentielles.

Depuis que cette rumeur circulait, nous attendions ce discours et ce climax avec excitation.

« Grand-mère ! Grand-mère ! Réveille-toi ! Réveille-toi ! Le climax a commencé ! Réveille-toi ! Le climax a commencé ! Debout ! Debout ! »

Je bondis de mon lit et me dirigeai aussitôt au salon. Tout le village y était déjà. Il n’y avait même plus d’espace pour circuler. L’intérieur de ma case était bondé, et l’extérieur saturé. Les habitants des villages voisins, éloignés et inconnus avaient tous accourus pour écouter la « bonne nouvelle ». J’aurais bien voulu les expulser de chez moi mais aucun d’eux n’avait assez de moyen pour se payer un écran de télévision, et encore moins, une chaîne stéréo.

L’intégralité des jeunes du « bas pays » était sans emploi. Et que dire des plus âgés. Seul quelques individus de la classe moyenne (si on peut l’appeler ainsi), pouvait s’offrir de tels appareils. Le « haut pays » ou plutôt, les dirigeants et leurs familles, hommes et femmes et enfants aussi cupides qu’insensibles, un crachoir d’ordures humaines, se partageaient les trois quarts des richesses. Les « salaires » étaient si dérisoires, si humiliants, si insultants qu’ils n’encourageaient pas la population. Même les ouvriers agricoles qui contribuaient pourtant au développement économique du pays, ne bénéficiaient d’aucune garantie sociale. Ils étaient sous-payés au jour le jour, exposés aux pesticides, et toute velléité syndicale était réprimée. Mais le peuple avait faim et l’aristocratie en était consciente. Elle savait que nous étions usés par la pauvreté, que nos villages étaient de véritables repaires de misère et que nous étions obligés, si nous voulions survivre, de travailler dans ses champs, dans ses usines, dans ses entreprises. Le « salaire » qu’elle nous accordait, c’était plus pour nous permettre d’avoir un bon rendement que pour payer des services, encore moins pour nous assurer le bien-être.

Les retraités comme moi, qui avaient travaillé durant le premier régime, qui n’était pas aussi un paradis, s’indignaient de la situation du pays. Et pourtant, nos terres étaient bien riches. Cobalt, or, diamant, pétrole, fer, bronze, uranium, lithium, caoutchouc, manganèse, gaz, étain, cuivre, coton… Nous étions si riches. Nous avions juste les mauvaises personnes aux bons postes.

Le climax avait déjà débuté quand je parvins à trouver un siège. Tout le monde était calme. Bizarre. Aucun sourire aux lèvres. Étrange. Aucune joie. Aucun commentaire. Aucune larme de joie. La crainte s’installait peu à peu en moi. Ce silence me tétanisait. Je voulais du changement dans mon pays. Je ne voulais plus voir les jeunes s’immoler, les vieux s’exiler. Je ne supportais plus ces informations sur des viols, des assassinats, des pillages, des noyades en mer de concitoyens désespérés. Mon pays allait mal. Il était temps de remettre de l’ordre dans ce chaos. Il était temps que ce président s’en aille. Je me disposai donc à écouter ce climax tant attendu.

Soudain, je reçus la plus grande gifle de ma vie.

«… Accordez-moi vos suffrages

Car je porte depuis des âges

La fierté et le courage

De ce pays d’hommes sages.

Il vous serait bien dommage

D’aller me faire barrage

En votant pour mes pages

Qui sont tous dans mes cages.

Votez donc à mon avantage.

Votez tous à mon avantage.

Ce serait pour vous un choix sage.

Ce serait pour vous le choix sage.

Vous avez crié dans l’inconnu

L’oreille ouverte j’ai tout entendu

J’ai entendu et je suis venu

Je suis l’homme du peuple et de la rue.

Certains me traitent de corrompu

Et d’autres de despote absolu.

Corrompu absolu, absolu corrompu…

Depuis que vous m’avez élu

J’ai bataillé et combattu

Pour rendre ce pays méconnu

Un état grand et résolu

À dévoiler toutes ses vertus.

J’ai toujours été sincère

En vous aimant comme un père

Et mon épouse comme une mère.

Des opposants éphémères,

Des putschistes, des réfractaires

Ont voulu me mettre à terre

Et sont aujourd’hui sous terre.

Cette élection sera ma dernière

Et je compte sur vous mes chers

Pour laisser le passé derrière

Et regarder l’avenir fier,

L’avenir fier, l’avenir fier.

Je ne suis pas prêt à m’en aller.

Ce mandat je le veux dernier,

Et vous me le donnerez,

Car l’amour que vous portez

À ce pays est élevé.

Je sais que vous n’oserez

Jamais lui imposer

Une crise sans débouchés.

Chers fils et filles de cette cité,

Votez pour le candidat de la postérité.

Ce mandat que vous m’offrirez

M’aidera à m’améliorer… ».

Quand le discours fut terminé, le président, son épouse, et les quatre cent vingt-huit ministres, et les huit cent cinquante-six adjoints ministériels, et les gouverneurs, et les députés, et les sénateurs, et les maires et leurs adjoints, sans oublier leurs familles et amis respectifs, quittèrent le pays dans leurs avions privés, en direction des quatre coins du globe, pour des séjours qui dureront cinq à huit mois. Toute la ploutocratie nous abandonna.

Dans ma case, aucune lèvre n’osait se délier.

Tout le monde était catastrophé. Pendant plus d’une heure, le silence régnât.

Puis, retentirent des « mince ! », des « encore ? », des « Seigneur ! », des « on va faire comment ? » et des « qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? ». Ensuite, apparurent des larmes et des soupirs qui fuirent suivis par un rebondissant cri de colère, de rage, de furie d’une âme éventrée et totalement désabusée.

« Soixante ans de dictature et soixante ans de soumission. Soixante ans de domination et soixante ans d’indignation. Soixante ans au pouvoir et soixante ans sans pouvoir. Soixante ans de domination et soixante ans de résignation. Trop longtemps, nous sommes restés muets. Trop longtemps, nous avons feint l’ignorance. Trop c’est trop ! Y en a plus que marre ! Nous devons nous réveiller, nous réveiller maintenant. Nous devons faire entendre nos voix, nos douleurs, nos misères, nos souffrances. L’heure est venue de renverser ce gouvernement. »

Ces mots brisèrent le mutisme que nous nous étions imposés.

Nous pensions tous à vomir ces paroles un jour, mais le courage nous ignorait. Nous cherchâmes par conséquent, l’audacieuse voix qui arracha enfin ces mots en nous. Tout le monde regardait son voisin. Tout le monde se demandait si sa bouche avait involontairement parlé, lorsque se leva, brusquement, un garçonnet, en répétant les paroles proscrites.

En une poignée de secondes, ma case et ses alentours se vidèrent.

Aucun villageois ne voulait être vu avec ce « diablotin ». Ce dernier rentra sous les coups de son père craintif et les jurons de sa mère anxieuse. Chacun s’enferma aussitôt chez soi. Toutes les lampes tempêtes s’éteignirent. La lune se dissimula dans les épais nuages. Les étoiles s’évaporèrent. La nuit s’alourdit au-dessus de nous.

Le lendemain, la nouvelle de la mort de l’enfant et de ses parents se répandit avant même les premiers chants des coqs. Aucun villageois ne fut surpris de l’apprendre. Tout le monde savait à quoi s’attendre après de tels propos. Nous étions tristes. Nous étions muets. Nous étions déprimés.

D’après l’armée, la radio et la chaîne de télévision nationale, les membres de cette famille étaient des « terroristes surentraînés et suréquipés » qui projetaient d’organiser des attentats dans l’étendue du territoire.

Leurs cadavres furent incinérés avant le crépuscule.

Le jour suivant, j’eus du mal à faire quoi que ce soit. Remords. J’avais des remords plein la gorge. Qu’étais-je donc devenue ? Où avais-je jeté mes valeurs, mes principes, mes convictions ? Qu’est-ce que j’avais fait de ce qu’on a fait de moi ? Résignée. J’étais résignée. J’étais résignée. Absolument résignée.

Jour après jour, j’acceptais de résider dans un pays en péril. Je m’accommodais à ce monde de ducs et d’insectes. Quel dommage pour moi ! Quel dommage pour cette nation ! Tous deux, nous acceptions de nous noyer sans nous battre, sans combattre. Nous étions résignées, tellement résignées. Et il fallait que cela change.

Quatre mois plus tard, le mouvement des morts-vivants était né. Il allait devenir quelque mois après, le plus grand espoir de notre belle nation.

Pour une fois dans ma vie, je luttais. Je luttais pour moi et pour ma patrie. J’avais créé un mouvement, le mouvement qu’il fallait créer depuis longtemps dans ce pays. Il n’était ni tribal ni religieux ni raciste ni phallocrate et encore moins anarchiste. C’était un mouvement apolitique et citoyen, créé par et pour le peuple.

Nous acceptions tout le monde, non, presque tout le monde.

Pour adhérer au mouvement des morts-vivants, il fallait être avant tout un mort-vivant.

Autrement dit, une personne résignée, absolument résignée, trompée par le gouvernement, trahie par les opposants, fatiguée de combattre, fatiguée d’être battue, morte en volonté, morte dans l’âme, morte mais vivante.

Tel un chef d’orchestre, je dirigeais le mouvement avec autorité et rigueur.

J’étais, pour les adhérents, le leader, non, le Messie qu’ils attendaient depuis des décennies.

Ils avaient tant rêvé de moi, tant prié le ciel pour qu’enfin je puisse sauver, délivrer le pays.

Au fil des mois, le mouvement grandissait. Des millions, des millions et des millions d’hommes et de femmes y avaient adhéré sans même connaître les projets de ce rassemblement citoyen. Tous étaient fiers d’abandonner une soi-disant confiance sur la tête d’un soi-disant élu auréolé dont ils ne savaient rien. Ils s’attendaient peut-être à ce que je fasse les mêmes actions que leurs élus d’autrefois, les mêmes erreurs, les mêmes trahisons, pour ensuite, vilipendé mon nom.

Pourtant, contrairement à ces élus, je n’avais pas comme ambition, l’accession au pouvoir. Non ! mon rêve n’était pas si futile. J’avais décidé de redonner à tous ces morts-vivants, leur humanité perdue. Pour sauver le pays, guerre et sang ne serviraient à rien.

Non ! nous ne détruirons pas ce pays encore une fois.

Non ! nous ne laisserons pas cette fois, des nations étrangères, qui ne se préoccupent que de leurs intérêts géopolitiques, s’immiscer dans nos problèmes.

Non ! des élections aux résultats douteux ne nous satisferont pas une nouvelle fois.

Non ! nous ne remplirons pas les bars et les boites de nuit pour irriguer notre frustration une fois de plus.

Non ! nous ne nous laisserons pas corrompre par le gouvernement, pour abandonner la terre de nos aïeux, sous le joug de ces traîtres, de ces corrompus, de ces éternels incapables.

Non ! nous ne ferons aucune concession qui ne prendrait pas en compte nos exigences, nos plaintes, nos lamentations, nos avis.

Non ! nous ne trahirons pas, encore une fois, nos âmes. Nous en avions marre.

C’est pourquoi, pour redonner à tous les morts-vivants leur humanité, nous organisâmes une multitude de conférences et de débats dans le pays. Chacun y retrouvait ses convictions, ses principes, ses valeurs. Chacun y retrouvait l’amour du pays. Chacun proposait ses idées pour guérir la république.

Après tous ces rassemblements et ces réunions idéologiques pour sauver la nation, nous établîmes un « almanach » dans lequel était répertorié toutes nos propositions de lois, nos idées, bref, tout ce que nous voulions pour améliorer nos vies. Nous voulions des écoles, des universités, des hôpitaux, des professionnels qualifiés, du travail, du bon travail. Nous voulions enfin vivre et non survivre. Nous présentâmes toutes ces revendications aux représentants du gouvernement qui n’avaient pas pu s’en aller.

Nous les morts-vivants, n’avions plus besoin d’un autre pseudo-leader pour nous conduire vers la lumière. Nous avions besoin de nous. Nous étions le peuple. Et seul le peuple pouvait sauver ce pays en déliquescence. Car rêver seul d’un avenir meilleur ne reste qu’un rêve mais rêver ensemble devient la réalité.

Dans tous les médias du monde, on parlait du mouvement. Cette hypermédiatisation encourageait des morts-vivants réticents et dubitatifs à rejoindre notre combat. Toutefois, nous n’attirions pas que des sympathisants.

Chaque jour, pour ne pas dire chaque heure, nous avions droit à des intimidations, à des assassinats, à des décapitations publiques qui arrachèrent la vie d’un grand nombre d’entre nous. Personne n’était épargné. L’armée tuait jeunes et vieux avec la même férocité, le même plaisir sanglant et malsain. On coupait des langues, des bras, des sexes ; on brûlait des vieillards, des femmes enceintes, des nouveau-nés ; on incendiait églises, marchés, dispensaires ; on créait une atmosphère de crainte et de chaos.

Cependant, même attristés, nous continuâmes à lutter pour la patrie, pour notre peuple, pour un avenir, un avenir meilleur. Bien que nous fûmes ravagés par la peine, nous domptâmes notre douleur, nous décidâmes de ne pas nous désister, de ne pas renoncer à notre quête. Chacun de nous avait déjà enterré plus d’une centaine de membres de son entourage. Qu’auront-ils dit de nous si nous abandonnions sans venger leur mort ? Hors de question ! Nous n’allions plus nous couvrir de honte et de lâcheté. Plus on nous abattait, plus notre courage grandissait. Rien ! plus rien ne pouvait nous arrêter.

Le mouvement devint très influent, entraînant par ricochet, le retour précipité du président, de son épouse, et des quatre cent vingt-huit ministres, et des huit cent cinquante-six adjoints ministériels, et des gouverneurs, et des députés, et des sénateurs, et des maires et leurs adjoints.

Tout le monde était enfin présent pour assister à la révolution des morts-vivants. Dès le retour du président et de sa clique, tout le pays s’immobilisa. Il était temps de leur faire comprendre que tout avait changé. Il était temps…de nous exprimer.

Le lendemain, tout le pays se figea. Villes silencieuses et cieux languissants. Soleil. Soleil morose et dévêtu. Lune pâle. Réverbères esseulés. Calme. Calme plat. Calme envahissant. Silence. Tout le pays retenait son souffle. Tous les morts-vivants se préparaient minutieusement à affronter la « démocrature ».

À l’aube, devant le palais présidentiel, des milliers et des milliers d’hommes et de femmes se rassemblèrent. Vêtus de noir, de noir mortuaire, couverts de cendres, de cendres funèbres, silencieux, silencieux comme des tombes, ils encerclèrent la résidence.

L’armée se mobilisa. Les médias se précipitèrent. Tous les morts-vivants retenaient leur souffle. Le silence s’accapara de nous. Il tambourinait et tambourinait à cor et à cri jusqu’aux catacombes de nos pensées. Hommes et anges, anges et dieux, dieux et astres n’attendaient que la fin, la fin, la fin…de notre silence.

Le président et son épouse apparurent sur le balcon du palais présidentiel. Derrière eux, on pouvait distinguer quelques personnalités de l’élite nationale, ou plutôt, quelques gros rats d’égouts purulents. Un haut membre de l’armée se présenta devant le couple présidentiel. Un conciliabule entre eux eut lieu durant un bon moment.

Le président réclama un micro. Le ciel s’illumina. Et de son luxueux balcon, il nous cracha un venimeux « vous n’êtes qu’un feu de paille. Je ferai de vous des gueules cassées ». Toutes les élites s’esclaffèrent. Les soldats devant nous, pointèrent leurs armes sur nos corps faméliques. Aucun d’entre nous ne trembla. Nous étions prêts à mourir une nouvelle fois. Nous n’avions plus rien à perdre. Nous avions déjà assez bu la mort.

Tous les morts-vivants s’agenouillèrent. Tous les morts-vivants s’oignirent d’un liquide visqueux rougeâtre. Puis, nous nous couchâmes sur l’asphalte. Le soleil se dissimula dans les nuages épais. Quand il réapparut, des coups de fusils retentirent.

Une centaine d’hommes et de femmes et d’enfants périrent. Le bitume s’ensanglanta.

À la vue de cette tragédie, d’autres morts-vivants nous rejoignirent. Nous étions de plus en plus nombreux. On aurait dit que tout le pays était rassemblé au même endroit. Les soldats, submergés, dépassés, commencèrent à fuir le champ de bataille.

En quelques minutes, nous envahîmes le palais. Chaque escalier, chaque mur, chaque porte qu’on franchissait, renforçait notre courage, notre détermination.

Le président sanguinaire et son troupeau réussirent à s’enfermer à temps dans un bunker. Ils croyaient certainement qu’ils y seraient protégés de notre courroux. Quelle bande d’idiots ! Ils n’avaient pas compris que ce jour-là, nous avions renoncé à notre raison.

Nous mîmes le feu au palais en prenant le soin de bien l’encercler. Dans cette fournaise ardente, nous jetâmes tout ce qui nous rappellerait ce régime. Les flammes avaient déjà brûlé une grande partie du palais lorsqu’ils se décidèrent à sortir de leur trou. Ils criaient, suppliaient et pleuraient. Tous, à l’exception de cet abject dictateur, demandaient notre pardon, notre pitié.

Tout à coup, ce dernier prit une allure solennelle, distinguée, majestueuse. Son regard arrogant nous poignardait de mépris. Il nous sourit puis attrapa son épouse par les cheveux. Il la traînait, la tirait avec violence vers les flammes. Elle se débattait. Elle criait. Elle l’implorait de l’épargner. Près des flammes, il n’hésita pas à l’y jeter après l’avoir étranglée. Il se retourna vers nous une dernière fois, toujours avec ce regard carnassier, rempli de malveillance. Il se laissa dévorer par les flammes, sans émettre un cri de douleur. On aurait dit que le feu ruisselait sur sa peau.

L’heure du changement avait enfin sonné. La révolution des morts-vivants débuta.

Et elle ne prendra fin qu’à l’éclat de notre victoire.

FIN

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