Déclaration de guerre aux spoliateurs du vivant

I – Préambule

Si j’ai décidé de prendre la plume, ce n’est pas pour me mettre en avant ni pour étaler ma science ou ma confiture, j’ai conscience de ne pas en avoir beaucoup et qui me lira s’en apercevra tout de suite, mais je m’en moque, ceux qui voudront bien m’écouter écouteront et les autres, eh bien qu’ils crèvent.

Désolée, je pars déjà sur les chapeaux de roue et je m’énerve, il faut que je me calme, je vais reprendre mon souffle, un-deux, puis expirer longuement, un-deux-trois, encore une inspiration, un-deux, et une expiration, ça va déjà mieux, je ne sais pas combien de temps ça va durer car j’ai le sang chaud mais je vais profiter de cette accalmie pour dire ce que j’ai derrière la tête, comme ça ce sera fait et ce sera dit et on n’en parlera plus, voilà, je serai tranquille.

Quand je disais avoir pris la plume, c’était une image bien sûr, premièrement il y a bien longtemps qu’on n’écrit plus avec des plumes, et ensuite je ne sais pas écrire, pas du tout, pas un mot, en fait je sais à peine parler, Loulou dit toujours que je ne sais que beugler, même s’il m’aime bien Loulou, et d’ailleurs c’est lui qui m’aide avec cette lettre, qui la transcrit sur le papier et ensuite la copiera la collera et la diffusera dans tout le pays et plus loin encore, il me l’a promis, en attendant je lui souffle les mots dans l’oreille de mon haleine chaude et fétide, et lui concentré les copie sur la feuille avec son crayon, il ne décolle pas les yeux, ne les lève même pas vers moi il n’a pas le temps, il faut dire que je parle vite, c’est comme ça quand un sujet me touche, j’ai le cœur qui se révolte, alors je me laisse emporter et les mots, ou plutôt les sons, sortent de ma bouche à toute vitesse.

Peu importe s’il y a des fautes on pourra les corriger ce n’est qu’un premier brouillon, on raccourcira aussi le préambule qui je le sens est déjà trop long, histoire de rentrer directement dans le vif du sujet au lieu de tourner autour du pot, c’est comme ça un manifeste, on doit frapper tout de suite, les arguments doivent apparaître dès les premiers mots, en un instant le lecteur doit comprendre de quoi il retourne, et avec des débuts pareils j’imagine que celui-ci est plutôt en train de se demander où je veux en venir, alors voilà, j’y arrive, voici la déclaration que notre groupe a rédigée et que j’ai apprise par cœur car si je ne suis pas la plus futée je suis celle qui a la meilleure mémoire, toutes mes amies le disent, et au passage je suis aussi la préférée de Loulou, quoi qu’il en soit j’espère de toute mon âme que bientôt d’autres prendront le relais et apprendront ces mots et le connaîtront aussi bien que moi, au cas où je serais abattue, on ne sait jamais, ces choses peuvent arriver à tout moment, surtout à notre époque, surtout aux dissidentes comme moi, comme nous.

II – Manifeste

Mort aux maîtres du monde et aux spoliateurs du vivant.

Mort à ceux nous réduisent à moins que rien, à des pantins ineptes, à des machines, à des numéros de série, au mieux, ou à des codes-barres, au pire !

Mort à ceux pour qui la chair de notre chair et le sang de notre sang s’achètent et se vendent, se négocient, pour qui nous ne sommes rien que des produits de consommation, des marchandises bas de gamme !

Mort à ceux qui séparent les enfants de leurs mères après avoir forcé les mères à avoir des enfants !

Mort à ceux qui transforment en rendement notre souffle, en profit notre force vitale !

Mort aux spéculateurs sur toutes choses, aux rentiers qui font courir sur nos maîtres des pressions inhumaines, et les obligent à user toujours plus envers nous de la carotte et du bâton !

Mort aux lâches, aux hypocrites, qui ne possèdent pas davantage que les autres mais qui croient par leurs calculs mesquins obtenir un peu plus, qui ne sont rien d’autres que les premiers et les derniers rouages de cette machination de mort, ceux qui n’oseront jamais dire un mot plus haut que l’autre, les léthargiques du confort spartiate, les idiots utiles des villages, les guignols de ce théâtre de mort, les… [Note de Loulou : fin peu claire]

À tous ceux-là, et autres surtout, je dis : prenons les armes ! Il ne tient qu’à nous de nous élever, non pas contre des êtres, hommes ou femmes, mais contre une idée du monde que nous ne partageons pas et ne partagerons jamais, car basée sur la concurrence maximale des uns contre les autres et l’exploitation continuelle de tous.

Nous sommes couchées de peur, le corps tout entier offert au sacrifice. Nous nous tenons à quatre pattes, l’échine pliée sous les coups. Il est temps de nous hisser debout !

Nous ne sommes pas seules : partout, derrière les murs et entre les collines, dans les vallées, dans les villes même, des camarades souffrent comme nous et sont prêts à entrer en guerre. D’autres, d’espèces différentes mais qui partagent nos griefs, nous rejoindront.

Demain, au lever du jour, ne vous réveillez pas. Refusez le travail, refusez de laisser couler le fruit de vos entrailles, de laisser perler une seule goutte de sueur à votre front !

Si l’on s’approche de vous, grognez ! Si l’on vous touche, frappez, ou bien gémissez pour faire croire que vous êtes malade, et leur montrer que vous n’êtes désormais plus bonne à rien !

Sortez, évadez-vous, puis réunissez-vous, montez des groupes, organisez des actions, communiquez, revenez libérer celles qui sont restées derrière ! Appelez des renforts !

Épargnez ceux que vous voulez. Les autres, soyez sûres de ne pas les manquer. Mais n’oubliez pas que nous sommes toutes et tous en vie, et qu’à ce titre, nous méritons tous de vivre. Ce contre quoi nous luttons, c’est justement, c’est exactement l’inverse de la vie : la destruction organisée et systématique du vivant.

Je ne mâche pas mes mots : ce texte est une déclaration de guerre. Il s’agit désormais de prendre les armes, ou d’utiliser celles que nous a donné la nature, de la gueule au pis, de la corne à la queue, et de ne pas les lâcher !

Déclaration rédigée le : 15/01/2020
À : La Ferme du bout des prés
Par :
Loulou, commis
Au nom de :
Marguerite, vache à lait

FIN

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Florian Orazy a vingt-neuf ans. Après des études scientifiques, il part à Londres occuper un emploi dans l’aide au développement. Rentré à Paris, il travaille désormais à son compte afin de consacrer autant de temps que possible à la lecture et à l’écriture. Il a écrit un roman (à paraître), une pièce de théâtre et plusieurs nouvelles dans des genres variés allant de la littérature réaliste au fantastique.

https://www.florianorazy.com/