Solide

— Avoue-le : t’es un homme !

Ils l’encerclent. À six contre une, évidemment. Ce n’est pas un garçon en particulier qui a une dent contre elle, ce sont les garçons. L’un d’eux, qui a plus à prouver que les autres, monte au contact.

— Allez, dis-le, sinon on vérifie nous-mêmes !

Il plaque sa main sur le sexe de la fille. Leurs regards se croisent. Pris tout seul, en face à face, il est pathétique. Il ne sait même pas pourquoi il fait ça. Mais ce qui va se passer en réalité, il le lit dans les yeux de sa « victime », et son rictus s’efface.

Elle le saisit à la gorge. Sans effort, la trachée craque sous ses doigts. Dans les cris affolés de ses camarades, les yeux du garçon se révulsent d’horreur. Il meurt.

Par le passé, elle s’était déjà défendue : avec des gifles, des ciseaux, des coups de poings dans les dents. À tous les coups, les adultes le disaient : elle n’avait pas le droit. Certes, le petit Kevin ou le petit Romain avait dépassé les bornes. Mais elle, elle n’avait pas le droit. Les filles n’avaient jamais le droit à la violence, même pour se défendre.

Alors, autant aller jusqu’au bout. Autant empêcher de nuire ceux pour qui tout est permis.

Maintenant, ils vont lui faire payer. Elle ne regrette pas. Qu’y a-t-il à perdre ? Elle rentre chez ses parents pour un dernier soir. Elle pose son cartable. Elle se sert un bol de céréales pour le goûter. Ses soeurs sont devant la télé. Sa mère est de mauvais poil, beaucoup de boulot à finir. Elles ne se parlent pas.

Le lendemain, le directeur l’amène son bureau, et convoque ses parents en urgence. Son père ne vient pas. Sa mère débarque en furie, prête à l’engueuler. Tu as tué quelqu’un ? Mais pour quoi tu me fais encore passer ? Les adultes parlent, ils posent des questions auxquelles elle ne répond pas. Ils n’écoutent pas de toute façon.

Ce n’est pas en prison qu’ils décident de l’envoyer. Une jeune fille, qui tue, seule ? Non : ça ne peut être qu’une folle. En plus, elle écoute du métal. Direction l’hôpital psychiatrique.

— Je préférerais aller en prison.

— Tu ne sais pas ce que tu dis.

Le jour-même, on l’installe dans sa chambre, 303 : un lit rêche sur du métal stérile, une fenêtre qui ne s’ouvre pas. On lui apporte sur un plateau une purée, un verre d’eau et deux cachets. Rendez-vous avec le psy le lendemain après-midi. En attendant, rien.

— C’est quoi ?

— C’est pour te calmer.

— Je suis calme.

— Allez, prends-les sans discuter.

— Je n’en ai pas besoin.

— Si tu ne les prends pas, on devra te les faire prendre.

— Je ne les prendrai pas.

L’infirmière disparaît. Elle revient une minute plus tard avec deux collègues masculins. Ils l’aggripent maladroitement. Faut-il encore en arriver là ? Oui. Elle a vu la seringue dans leurs mains. Elle a vu les passe-sangles sur le lit.

Elle attaque. Elle a toujours su qu’elle était plus forte. Les autres, eux, ne le voient jamais venir. Ils sont en sang, au sol. Elle sort de la chambre et marche tranquillement vers l’issue de secours, jusqu’au bon air glacé du dehors.

Elle se débrouillera.

FIN

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Élie B est né en 1989, en région parisienne. Il était traducteur en sciences du comportement. Il se consacre désormais à l’écriture et publie de courts textes militants.

https://eliebouet.wixsite.com/elieb